La création de l'école

  C'est en 1919 qu'est créé l'institut professionnel* Saint-Laurent, à l'initiative du chanoine Warnotte, directeur des œuvres sociales de la province de Liège.

* Dans le sens premier du mot : pour apprendre une profession.

  Il s’agit, au lendemain de la première guerre mondiale, de former des travailleurs compétents pour participer au redressement économique de la région, mais aussi d'empêcher la jeunesse ouvrière de se laisser séduire par les idées socialistes.

  Le but premier de l'enseignement professionnel catholique, peut-on lire en substance dans des textes d'époque, est de donner aux jeunes apprentis les connaissances techniques et l'habileté professionnelle dont ils ont besoin pour devenir des ouvriers d'élite ; mais aussi de leur conférer une formation religieuse et morale très forte, pour en faire une élite sociale. Sinon, « qu'adviendrait-il de ces braves jeunes gens, jetés dans le milieu des usines, travaillés par des idées viciées, des influences antichrétiennes et révolutionnaires ? Combien de malheureux égarés deviendraient les victimes de courants malsains ? »…

  Eté 1919. L'évêché acquiert une propriété sise au 29 de la rue Saint-Laurent, juste à côté du patronage Saint-Joseph, à l'emplacement actuel de l'atelier garage-diesel.

   On l'appelle l'immeuble Vandresse, du nom de l'ingénieur généreux donateur.

 
L'immeuble Vandresse en 1919.
Le même endroit nonante ans plus tard.

 

  En juillet, un certain abbé Henri Peters vient élire domicile dans cette bâtisse. C'est lui que Monseigneur Rutten, évêque de Liège, a choisi comme directeur du nouvel établissement.

  L'abbé Peters est un ancien professeur de l'école industrielle de Saint-Lambert Herstal. Il vient d'être démobilisé après avoir servi comme aumônier militaire.

 Monseigneur Peters, devenu plus tard vicaire général et prélat domestique du pape.

Plaque commémorative visible dans la cour d'entrée : « La fédération de l'enseignement technique catholique à son regretté président, Mgr Henri Peters 1886-1933 »



  
 À la mi-août 1919, une petite affiche timide, dans le porche de l'église paroissiale Sainte-Marguerite, annonce l'ouverture prochaine d'une école de mécanique dans le quartier Saint-Laurent. L’immeuble Vandresse, pourtant, n’est guère aménagé.

  Va-t-on donner cours sur l’herbe du jardin, ou limer et forer à l’ombre des cerisiers, dans les vergers contigus, avec au loin le panorama de la ville de Liège ? Si un visiteur l’interroge, l'abbé Peters, animé d'un optimisme à toute épreuve, l’invite à découvrir les lieux.

  Au premier étage du bâtiment, par une porte basse, il le fait entrer dans une petite salle.

  — Le réfectoire des élèves, jette-t-il sans sourciller.

  Au fond, un escalier étroit, au sommet duquel s’ouvre une pièce pratiquement vide.

  — Nous y sommes. Voici la classe, qui servira aussi de salle d'étude et de salle de dessin. Là, le tableau. Nous attendons les bancs.

  Dans un coin, traînent quelques limes.

  — Notre premier outillage… Quant à l'atelier, je ne sais pas encore, mais il sera prêt. J'ai neuf élèves inscrits, donc nous ouvrirons !

  Et on ouvre ! Le lundi 8 septembre 1919, en la fête de la Nativité de la Sainte-Vierge.

  8 heures. Plus de cent élèves (d'apprentis, comme on dit alors) attendent dans le jardin d'entrée, candidats à l'inscription.

  Les trois premiers professeurs, perdus dans cette foule, essaient de vaincre leur trac. Ne sont-ils pas, eux aussi, des nouveaux ! Monsieur Gérard Mordon n'a que 19 ans…

 

 Cette photo date de 1921. Les noms des pionniers de 1919 sont soulignés.

  Au premier rang, de gauche à droite : l'abbé Émile BENTEIN (école du bois), l'abbé Pierre BENTEIN (préfet), l'abbé Henri PETERS (directeur), ? , l'abbé Charles BOLLAND (math, physique, hygiène).

  À l’arrière : VAN AUBEL (théorie), Joseph HARS (atelier fer), Eugène DEFIZE (dessin industriel) et Gérard MORDON (théorie).


  Quand le directeur paraît, il commence par annoncer une liste d'inscriptions plus imposante que prévu.

  — Messieurs, proclame-t-il souriant, triomphant même, il nous faut dédoubler la première année. Et nous sommes forcés de refuser des élèves !

  Un « examen d'entrée » est organisé dans le seul local scolaire existant au second étage de l'immeuble. Cinquante-six étudiants sont retenus, que l'on répartit en deux sections, A et B, dont l'horaire sera simple, du lundi au samedi : six demi-journées de cours pratiques et six demi-journées de cours théoriques, sans oublier la messe matinale et l'étude obligatoire en fin d'après-midi.

  Ensuite, le premier coup de cloche (une cloche à main, agitée frénétiquement par un élève fier d'assumer cette tâche) : tout le monde se dirige vers la chapelle du patronage Saint-Joseph, celui-ci mettant son infrastructure à la disposition de l'école naissante, pour « placer l'institut sous la protection du Bon Dieu dans une atmosphère fervente ».

                                          Recueillement devant la chapelle du patronage Saint-Joseph

 


  La devise de l'école, c'est « VITE et BIEN ». Un cycle de 3 ans pour devenir un ouvrier compétent doublé d'un chrétien assidu, lancé vers 15 ou 16 ans dans le monde du travail.

  Les cours théoriques se donnent, nous le savons, dans l'unique classe aménagée à l'étage de l'immeuble Vandresse, là où se tient aussi l'étude obligatoire de la fin d'après-midi.

 

  Quant à l'atelier, faute de mieux, on en a aménagé un de fortune au cercle Sainte-Marguerite, dans le quartier de Fontainebleau, à quelques centaines de mètres de l'institut.

  Pour s'y rendre, les apprentis descendent en rangs la rue Publémont et traversent la rue Sainte-Marguerite « entre deux tramways ».

 

 Le cercle Sainte-Marguerite avant sa disparition dans le courant des années 1970, à la suite du réamenagement routier du quartier de Fontainebleau.

  « Ah ! cet atelier, témoigne en 1927 un ancien de la première génération. Du provisoire, mais qu'on y était bien, qu'on y sentait chez soi ! La petite forge, dans un coin, et les deux foreuses à pédale au milieu des établis. Qu'on y limait et burinait avec entrain ! »

 

  « À midi, raconte le même témoin, à propos cette fois du site de la rue Saint-Laurent, on se serrait pour dîner sur les trois tables du petit réfectoire, avant de se lancer dans la prairie servant de cour de récréation. Jardin et taillis sauvages, aboutissant à une butte qui va s'adosser au pignon aveugle de la maison de famille des pères salésiens. Pour nous, l'autorisation, ou plutôt l'encouragement, d'y jouer le plus possible. Chaque branche cassée, chaque arbuste déraciné, n'était-ce pas autant de besogne déjà faite en vue de futurs aménagements ? »

 
 

  
 
  Le dimanche 25 juillet 1920, c'est le jour de la première distribution des prix, après des examens oraux ayant eu lieu deux dimanches consécutifs.

  Le 25 juillet, car les « grandes» vacances », à l'époque, ne supposent que le mois d'août.

  La cérémonie se déroule à la salle des fêtes du collège Saint-Servais. Elle consacre la réussite de 37 apprentis ajusteurs.

 



  En leur souhaitant un bon repos, le directeur ajoute: « À la rentrée, nous prendrons possession de nouveaux locaux. Nous y serons à l'aise, vous les anciens et les nouveaux, à qui vous donnerez l'exemple ».

  Car des travaux de construction ont commencé dès mai 1920, avec l'aide de l'ingénieur Vandresse, l’un des bienfaiteurs de l'institut. Il est question « de faire surgir de terre » des bâtiments comportant un bureau technique, une salle d'étude, un lavoir, et à l'arrière, un atelier de mécanique…

 
La façade des nouveaux bâtiments espérés pour la rentrée de septembre 1920.
 
 De nos jours.

 

  À ce moment, l'abbé Peters ignore que les révérends pères salésiens vont abandonner la « maison de famille » où ils exercent leur apostolat depuis plus de 20 ans.

  Achetée à la mi-août grâce une fois de plus à la générosité du baron de la Rousselière, cette imposante bâtisse va permettre à l'institut, nous allons le voir, de poursuivre son essor.

 

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