L'épopée de la rue Bidaut Août 1959. À trois semaines de la rentrée scolaire, il y a déjà trop d'inscriptions. L'institut, en septembre, comptera plus de mille élèves, et les locaux disponibles sont incapables d'accueillir une telle population !
Imaginez, à l’entrée principale, un hall de dix mètres sur cinq, suivi d’une porte à deux battants qui risque de s’écrouler à tout moment ; derrière cette porte, un autre hall de sept cent cinquante mètres carrés, immense, surmonté de trois balcons tournant autour de celui-ci. À l’intérieur, deux professeurs prêtres en salopette s’affairent déjà : les abbés Pierre et Duelen. Le premier, noyé dans des monceaux de casseroles, marmites, ustensiles de cuisine en tous genres, essaie de mettre de l’ordre, de classer, mais le malheur est qu’on ne sait où marcher. Le second fouine dans tous les coins à la recherche de trésors, vieux meubles branlants, morceaux de machines, ferrailles de toutes sortes, véritable bric-à-brac racheté par l’institut pour pas cher. Ajoutez à cela des tonnes d’étagères (plus de 15 tonnes dit-on), remplies de casseroles. Par-dessus ce fourbi, une couche de poussière à faire reculer les plus hardis, les lieux étant abandonnés depuis des années ! Les halls ont l'air de granges désaffectées, les portes et les fenêtres menacent de tomber, les toits de s’écrouler. Les tuyaux de chauffage, de gaz, d’électricité, pendent lamentablement ; des restants d’appareils sont restés accrochés aux murs, le tout dans un état indescriptible. Le sol est littéralement labouré avec des épaisseurs de cambouis de cinq centimètres. Voilà l’état des lieux trois semaines avant la rentrée. On rappelle tous les professeurs. On forme des équipes pour tout nettoyer et aménager. En fin de journée, mais qu'importe ! tous les participants sont noirs comme des charbonniers, surtout les collègues théoriciens, venus comme d'habitude en chemise blanche. L'abbé Pierre s’improvise marchand de casseroles. On voit alors défiler les acheteurs : prêtres, religieuses, policiers etc… Bientôt débordé, il part en retraite pour se reposer. C'est Monsieur Thys prend la relève. Entre-temps, notre directeur, qui sait marchander (ne pas oublier que c’est un « curé »), déniche, avec une forte remise, trois cents armoires de lavoir, livrables de suite. Tous les professeurs se mobilisent pour les charger et les installer à Bidaut. Au bout de quelques jours, les établis et étaux sont mis en place, puis on aménage plusieurs classes provisoires : une première dans le grand porche, une deuxième dans une chambre à coucher, une trosisième dans un bureau, et une salle de dessin au rez-de-chaussée de l’atelier. La JOC de Saint-Laurent prête gracieusement tables et chaises, et l'abbé Martinant fait fabriquer des tableaux tellement vite que les peintres arrivent avant les menuisiers. Qu’importe, on peint les planches, on les assemblera après... Le jour de la rentrée, ces installations de fortune peuvent accueillir six sections de deuxième année. Au cours du premier trimestre, les cours se donnent dans un vacarme infernal, car maçons, menuisiers, plombiers, vitriers, paveurs, électriciens, tous se bousculent pour aménager les locaux définitifs. Les professeurs ne savent jamais où ils vont donner cours. D’une heure à l’autre, il faut changer de local. Les récréations elles-mêmes se passent à transporter tables et chaises ; on déménage pour redéménager l’heure suivante, et quoi qu’en dise le préfet, il y a quand même de la discipline. Certains élèves apprennent à leurs dépens que la main de Monsieur Thys « part très vite » dans certains cas ! L’hiver arrive, et le chauffage central n'est pas terminé. Les cinq poêles que l'on récupère et que l'on installe en vitesse enfument le plus souvent les lieux. Mais la vie continue...
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