Une journée à l'école au milieu des années 1920

  Imaginons l'exemple du petit Hubert, 13 ans, inscrit en première année mécanique.

  Hubert habite un village de la Basse-Meuse liégeoise. Ses parents sont prêts à de nombreux sacrifices pour qu'il fasse des études ; ils savent qu'il faudra payer les abonnements, les frais scolaires, et surtout assumer le manque à gagner. L'aîné, lui, a été mis au travail très jeune, mais avec le « petit », on va essayer mieux !

  D'autant plus que l'instituteur a estimé le gamin prometteur et déconseillé un quatrième degré primaire, où l'on n'apprend plus grand chose. Le parrain, lui-même mécanicien, puis le curé de la paroisse, ont conseillé Saint-Laurent : « Cest la meilleure école, faut qu'il y aille ».

  Mais aller à Saint-Laurent suppose des problèmes de trajets. L'enfant, motivé par l'honneur que sa famille lui fait, a promis d'être un élève sérieux et consentira les efforts exigés.

  Pour arriver à Saint-Laurent à 7 heures 45, il doit se lever à 5 heures. C'est à vélo qu'il se rend à la gare de Visé (un vélo FN d'occasion que lui a offert son parrain), pour prendre le train vers 6 heures. Quand il débarque à la gare du Longdoz, à Liège, il doit encore traverser la cité et « monter » à l'école à pied !

  La journée scolaire, à Saint-Laurent, commence en effet à 7 heures 45, par une messe célébrée à la chapelle du patronage Saint-Joseph.

  Après la messe, une étude d'une demi-heure pour revoir ses leçons, avec interdiction d'écrire.

  8 heures 30. Les apprentis forment les rangs pour se rendre soit en classe, soit à l'atelier, puisque leur horaire est simple : six demi-journées de cours théoriques et six-demi journées de pratique, sans le moindre congé du lundi matin au samedi en fin d'après-midi.

  Dans les rangs, Hubert est en culottes courtes, comme la plupart de ses condisciples. Il a pourtant fait sa communion solennelle et pourrait porter un pantalon comme les « grands », mais il doit d'abord user ses vêtements toujours convenables. Par contre, il vient de recevoir de nouvelles bottines cloutées, confectionnées par le cordonnier du village. C'est son grand-père qui les lui a offertes ; elles sont surdimension-nées pour durer deux ans au moins.

  Quoi qu'il en soit, le gamin est intimidé par les professeurs prêtres ou laïcs, qui les accueillent avec amabilité, certes, mais aussi avec le prestige de leur fonction : soutane ou costume sombre...

Une première année au milieu des années 1920 :

 

Le corps professoral en 1924 :


  Ce matin, Hubert a deux classes d'une heure (de soixante minutes), puis une récréation de quinze minutes, puis une classe d'une heure.

  Ces cours théoriques se donnent au second étage du bâtiment à rue.

  Un local du côté de la rue Saint-Laurent. Seule la voix de Monsieur Mordon, connu pour son autorité, sait couvrir le vacarme des tramways dévalant de Saint-Gilles  

 

  À 11 heures 45, lorsque sonne la fin de la matinée, un élève digne de confiance conduit les rangs pour « descendre ». Rangs impeccables en silence, car il faut passer, au premier étage, devant les dangereux bureaux du directeur et du préfet...

 

  À midi, le « repas des fauves » a lieu dans le grand réfectoire situé au rez-de-chaussée du « Saint-Laurent Palace », le bâtiment des ateliers bois.

  On dit le « repas des fauves » car près de 600 adolescents, en 1926, fréquentent cette salle, où l'on a dû resserrer les rangées de bancs, et après la prière, l'ambiance monte rapidement. Cela n'empêche pas notre Hubert de dévorer les tartines qu'il vient de sortir de sa nouvelle boîte en aluminium, cadeau offert par sa marraine, avec la gourde assortie.

 
La gourde contient de l'eau, mais à l'école, le père Anselot, concierge et cuisinier, distribue aussi du café ou de la soupe. Il accomplit sa tâche avec bonne humeur, malgré la difficulté de faire parvenir tous les bols dans cette marée humaine, et la perspective d'une abondante vaisselle à relaver !



Après le repas, Hubert profite des quelques minutes de récréation qui précèdent la reprise des cours à 13 heures.

Il participe aux jeux organisés par les professeurs dans la cour du patronage Saint-Joseph.
 
  Il aimerait s'amuser sur le talus de la cour d'entrée, arboré et fleuri, mais impossible d'y accéder sans risquer les terribles « cinq lignes » de la surveillance ! Cinq lignes d'un texte imposé, calligraphiées à la maison dans un cahier de punitions, avec signature obligatoire des parents.

 

  Cet après-midi, notre apprenti se rend à l'atelier fer. Jeune apprenti, il apprend à limer. Il regarde avec envie ses aînés qui travaillent sur de superbes machines-outils.

 

  Quand il fait plus frais, c'est un vieux poêle à charbon qui chauffe l'atelier tant bien que mal. Mais les mécaniciens s'estiment heureux comparativement à leurs condisciples menuisiers. Au bois, le poêle est alimentés par des copeaux. La fumée est épaisse quand ce sont des copeaux humides provenant des stocks de la Société anonyme, laissés à l'air libre par tous les temps.

  17 heures. La journée scolaire se termine par une heure d'étude, légèrement raccourcie le samedi pour permettre une prière d'action de grâces.

La salle d'étude de la mécanique au début du XXème siècle (l'actuelle salle de gymnastique ping-pong) :