Les
marionnettes liégeoises à tringles
Les
origines de ces marionnettes sont italiennes: Alexandre Ferdinand
Pompée CONTI, arrivant de Toscane, s'installe en Belgique
en 1854. D'abord artiste nomade qui donne des représentations
au hasard de ses déplacements, il finit par se fixer
à Liège (Pierreuse puis Saint-Séverin).
Son
théâtre suscite des vocations et des concurrents,
et les spectacles de marionnettes connaissent un succès
croissant. Le personnage légendaire liégeois
de Tchantchès en devient rapidement le héros.
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Le
personnage légendaire de Tchantchès
Tchantchès
(traduction wallonne de «François»)
vient au monde à Liège, en août
760 ; il apparaît de façon miraculeuse
entre deux pavés du quartier d’Outremeuse,
en braillant une chanson à boire :
« Allons, la Mère Gaspard, encore un
verre, il n’est pas tard »...
Le bébé déteste l’eau,
et le couple qui le recueille le sèvre au pèkèt,
alcool local à base de genièvre.
A son baptême, la sage-femme lui cogne accidentellement
la tête sur le rebord des fonts baptismaux,
ce qui explique son nez difforme et rougeâtre.
A cause de son visage enlaidi, le gamin reste longtemps
à l’écart de la foule. Àl’âge
de dix ans, il fait « Saint-Mâcrawe »,
c'est-à-dire qu'il accepte d'être promené
dans tout le quartier, barbouillé de suie,
sur une chaise à porteurs escortée de
nombreux enfants. Il attire la sympathie populaire,
à tel point qu'il est élu prince du
« Djus d'la Mouse » (nom wallon d'Outremeuse).
Il oublie sa laideur et sait se faire aimer par sa
bonté d’âme et ses espiègleries.
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Tchantchès
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Charlemagne
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Roland
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Un
jour, alors qu’il se promène le long de
la Meuse, il a l’occasion de rencontrer le chevalier
Roland, neveu de Charlemagne. Une amitié profonde
naît entre les deux jeunes gens, et Tchantchès
est introduit à la cour. |
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D'ailleurs,
au théâtre des marionnettes, Tchantchès
est étroitement mêlé à
tous les épisodes de la vie de Charlemagne
et de son entourage.
Il
participe, par exemple, en 778, à la fameuse
bataille de Roncevaux, défilé des Pyrénées
où l'arrière-garde de l'armée
française se fait attaquer par des milliers
de Sarrasins.
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Ce
récit du célèbre combat est adapté
des textes de Max DEFLEUR,
(« Contes et légendes de Wallonie »,
Paris, Nathan 1962) :
« Tchantchès reste ébahi
devant la hauteur des Pyrénées (...),
mais il s'étonne surtout que la peau des Sarrasins
soit si noire. Il dit à Roland : «
À mon avis, y z'ont fait Saint- Mâcrawe
au D'Jus d'la Mouse, et y z'ont oublié de s'frotter
la figure » !
Tout
en parlant, il s'équipe. En guise de bouclier,
il revêt son sarrau bleu ; pour heaume,
il se coiffe de sa casquette de soie noire. Les trompettes
sonnent ; les barons et les chevaliers endossent
leurs amures et enfourchent leurs destriers (...).
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Et
commence la fameuse bataille de Roncevaux.
Roland,
toujours sous le coup de sa discussion avec Olivier,
frappe comme un diable. À son côté,
Tchantchès, lui aussi, fait rage. Il crache
dans ses mains et donne des coups de tête dans
l'estomac à une cadence rapide. Ni cuirasse,
ni cotte de mailles, ne résistent à
ce terrible bélier. Il a déjà
avalé deux bonnes lampées de pèkèt
pour se mettre en forme et expédier trois cent
mille Sarrasins dans l'autre monde.
L'ennemi
fuit l'endroit de la bataille où se trouve
Tchantchès, et celui-ci, n'ayant plus rien
à faire, commence à s'ennuyer et baîlle
bruyamment. Roland lui dit : « Tu t'ennuies,
mon ami. Va te coucher. Je ferai bien sans toi ;
je vais voir ce qui se passe là-bas, sur l'aile
gauche »...
Tchantchès
obéit. Quelques instants plus tard, il ronfle.
Depuis combien de temps dort-il lorsqu'il entend le
cor ? Il a l'intuition d'un désastre. D'un
bond, il est sur pieds... et trouve Charlemagne devant
le cadavre de son preux compagnon.
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Tchantchès
est le champion des « soukeus de Djus-d'la
Moûse » (les donneurs de coups de
tête d'Outremeuse). Il se bat « à
côps d'tiesse èpwèzonés »
(à coups de tête empoisonnés).
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Sa
tristesse est immense. Il enlève sa casquette
et s'arrache des poignées de cheveux. Puis il
prononce cette courte oraison funèbre :
« Sire Empereur, votre neveu a reçu sa
daye, mais nous l'revengerons » !
Ainsi
sera fait. Tchantchès accompagne Charlemagne
au siège de Saragosse, et ce sera lui qui, le
premier, franchira les murailles de la ville »... |
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Marionnettes représentant des personnages de
l'époque de
Charlemagne (dames de la cour,
soldats français, Sarrasins ).
Un
spectacle de marionnettes liégeoises à
tringles
(Musée Tchantchès, rue Surlet, 56,
à Liège Outremeuse).
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Inconsolable
d’avoir dormi à la bataille de Roncevaux,
Tchantchès quitte le palais de Charlemagne
(Aix-la-Chapelle) et revient vivre dans son quartier
d'Outremeuse à Liège.
Il
s’éteint à l’âge de
quarante ans, après une franche ripaille, échappant
ainsi à la vieillesse.
Il
reste, dans le tradition locale, le prototype du vrai
Liégeois, mauvaise tête, esprit frondeur,
grand gosier, ennemi du faste et des cérémonies,
farouchement indépendant, mais cœur d’or,
et prompt à s’enflammer pour toutes les
nobles causes.
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Alors
qu'on lui attribue beaucoup de défauts, Tchantchès
n'est pas un coureur de jupons, même s'il aime
secourir les femmes en danger.
Il n'est pas marié, car pour lui « Li
marièdje n'est fêt qu'po lès sots
» (Le mariage n'est fait que pour les sots).
Il a néanmoins une
« binamée crapaude » appelée
Nanèsse (Agnès en français).
Elle est pleine de bon sens et de bonté, courageuse,
sévère mais aimante.
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Les
effigies géantes de Tchantchès et Nanèsse
font bien sûr partie du cortège folklorique
des fêtes du 15 août en Outremeuse (Liège).
En
compagnie de Charlemagne et, en 2006, de saint Lambert,
qui est à l'origine de la cité de Liège.
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Pour
en savoir davantage sur les marionnettes liégeoises
et la légende de Tchantchès, je vous conseille
aussi
le livre de « Noir Dessin Production »
: la légende
de Tchanchès.
La statue, œuvre de Joseph Zomers, montre la Wallonie
sous les traits d'une hiercheuse qui brandit Tchantchès
tel un flambeau de la liberté. |
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Le
monument à la gloire de Tchantchès,
en Outremeuse, a été inauguré
en 1936.
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La
plupart des Liégeois vous diront que ce monument se
situe place de l'Yser. En réalité, il se trouve
à l'entrée de la rue Pont Saint-Nicolas, courte
voirie qui mène à la rue Surlet.
« Pont Saint-Nicolas » rappelle l'existence d'un
pont à cet endroit, à l'époque où
le quartier était constitué de plusieurs îlots
formés par les bras de l'Ourthe. Ce pont Saint-Nicolas
reliait autrefois la rue Chaussée des Prés à
la rue Puits en Sock, en passant au-dessus du bief Saucy.
Il a disparu en 1875 avec le remblaiement du passage d'eau
qu'on transforme en boulevard.
Le rond-point et la rue Pont Saint-Nicolas vus du boulevard
Saucy
en août 2006.
Le
pont Saint-Nicolas en 1865, avant l'assèchement
du bief en
boulevard Saucy
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